Des lectures analytiques collaboratives en lycée
Année scolaire 2015-2016
Constat
Ma classe de 1ère était extrêmement passive. Lorsqu'un jour j'ai passé dix minutes à leur poser des questions, sans avoir aucune réponse et tous de me regarder le stylo prêt à noter ce que j'allais, de guerre lasse, leur dire, je me suis dit qu'il fallait faire autre chose.
Le problème était de trouver une alternative au cours dialogué me permettant d'aller aussi vite (impératif du programme à finir avant l'examen) tout en leur permettant l'appropriation nécessaire du texte pour faire face à l'épreuve orale. Il me paraissait également essentiel de poursuivre dans la voie d'une lecture analytique qui soit entièrement la leur, comme c'était déjà le cas avec le cours dialogué.
Il s'agissait donc de leur permettre de s'investir dans l'analyse, mais aussi de maintenir et développer le travail de l'oral, de façon à ce qu'ils acquièrent une autonomie suffisante face au texte, avec une qualité de communication.
Contexte
Classe de 1è générale.
BYOD autorisé par le règlement intérieur.
Serveur de classe déjà en place.
Pratiques pédagogiques déjà en place : travail de groupe en îlots, classe inversée pour certaines activités, différenciation.
Matériel à ma disposition : scanner portable, iPad, ordinateur de classe.
Cette pratique a été mise en place à partir de janvier 2016.
Déroulement de la lecture analytique collaborative
Si les deux premières étapes restent « classiques », les deux dernières entrent dans une démarche de pédagogie coopérative.
Étape 1 : « débroussaillage du texte »
Je fais la première lecture du texte. Je les interroge sur ce qu'ils en pensent. Nous faisons à partir de là émerger des savoirs et des notions. Si le texte appartient à un contexte littéraire déjà connu ou avec des techniques déjà étudiées, ils doivent les retrouver. Nous observons quelques points spécifiques au texte, dans les thèmes ou les procédés ; certains passages qui peuvent être compliqués à comprendre sont éclairés.
A ce moment-là seulement, ils prennent une feuille sur laquelle ils notent le titre de la lecture analytique. Je leur fais ajouter des recherches à faire qui correspondent aux savoirs ou aux notions.
Étape 2 : élaboration en groupe de la problématique et du plan
Après le débroussaillage, les élèves, installés en îlots, doivent trouver une problématique et élaborer un plan à partir de là. Je passe auprès de chaque groupe pour aider, encourager ou conseiller.
Après un temps donné, je passe scanner les plans. Généralement, une heure vient de s'écouler lorsqu'on en arrive là. Dans le temps hors-classe, je consulte les plans et soit j'élabore un plan qui combine différentes propositions, soit je sélectionne un plan complet fait par un groupe. Cette étape me permet de vérifier à partir de ma propre préparation si les élèves ont bien perçu tous les aspects du texte nécessaires.
Étape 3 : analyse en groupe
Je vidéo-projette le plan choisi. Les élèves le reportent sur leurs feuilles.
Ensuite, soit j'attribue les sous-parties à certains groupes, soit je leur permets de les choisir.
Les élèves doivent ensuite procéder à l'analyse de la sous-partie qui leur est attribuée (une sous-partie par îlot). Cette tâche comporte une ou deux fois les trois temps de l'analyse : idée, exemple, analyse rigoureuse à partir d'un procédé.
Je passe dans les groupes. Mon travail varie d'un groupe à l'autre : soit j'aide les groupes en difficulté, soit j'indique des recherches à faire pour enrichir l'analyse que les élèves peuvent faire à partir de leurs appareils connectés ou de l'ordinateur de classe. Souvent, je rappelle des savoirs afin que les élèves puissent les réutiliser.
Les élèves doivent se déplacer de groupe en groupe pour vérifier que l'exemple choisi par leur îlot n'a pas déjà été pris par un autre.
À l'issue de cette étape, je passe scanner le travail accompli par les îlots. Il arrive qu'un ou une élève dont l'îlot a déjà fini passe scanner afin que je puisse continuer à aider les derniers.
Étape 4 : mise en commun
Je vidéo-projette, dans l'ordre du plan, les sous-parties réalisées par les élèves, les unes après les autres.
Je commence par lire à voix haute la sous-partie en m'abstenant de tout jugement sur ce qui est vidéo-projeté. Le groupe qui a créé la sous-partie s'identifie. Les autres peuvent alors poser leurs questions. Les questions sont souvent pour demander des éclaircissements sur ce qui a été écrit. L'îlot qui a créé la sous-partie donne la parole, répond, explique. À partir de là, les élèves peuvent demander une reformulation : sur la partie vidéo-projetée, je corrige au feutre en suivant leurs indications. Les élèves sont aussi dans l'évaluation de la sous-partie : s'ils estiment qu'il y a de la paraphrase, il leur faut refaire tous ensemble ; si c'est incomplet, ils doivent compléter. J'ai un rôle de secrétaire et de coordinatrice. Je veille toutefois à ce que la qualité de l'analyse réponde aux attentes de l'examen, quitte à les guider vers des ajouts qui me paraissent nécessaires.
Néanmoins, les échanges se font essentiellement d'élève à élève, d'îlot à îlot.
La classe n'écrit pas : seuls deux scribes volontaires prennent à l'ordinateur ce qui apparaît ou est corrigé sur le tableau. Ils sont également chargés de veiller à la cohérence de ce que nous faisons. S'il apparaît qu'un îlot a pris un exemple déjà utilisé pour une autre sous-partie, ils l'indiquent à la classe et les élèves doivent modifier cela.
Les scribes m'envoient ensuite le document par email. Dans le temps hors-classe, je vérifie une dernière fois que rien d'essentiel n'a été oublié. Je mets ensuite le document sur le serveur de la classe ; si des éléments important ont été oubliés, je crée un document complémentaire avec quelques ajouts. Tous les élèves ont à présent accès au document, et donc à la LA complète.
Observation réflexive et conceptualisation
La participation des élèves a été complètement modifiée par cette pratique.
Tous les élèves (à une exception près : un élève EIP) se sont investis dans le texte de façon active lors du travail d'analyse en îlots. Ma présence auprès d'eux lors de cette étape a permis une aide souvent individualisée, permettant à certains de consolider leurs acquis, à d'autres de progresser, à d'autres, enfin, d'aller plus loin.
Lors de la phase de mise en commun, beaucoup plus d'élèves ont pris la parole que lors du cours dialogué. Lorsque les îlots devaient justifier leurs choix à leurs camarades, la plupart des membres se sont exprimés tout au long de l'année. Les échanges de pair-à-pair ont été nombreux et nourris. En effet, les élèves avaient conscience de l'enjeu : il s'agissait de ce qu'ils allaient présenter lors de l'épreuve orale et ils ne pouvaient pas se permettre un travail inabouti ou qu'ils ne pourraient pas justifier.
Il a fallu toutefois un apprentissage du dialogue lors de la mise en commun : les premières séances ont été assez laborieuses, même s'il n'y a pas eu de moments de silence comme cela avait pu être le cas lors du cours dialogué. Néanmoins, en mai, il m'a un jour fallu sortir de la classe pour m'occuper d'une élève faisant un malaise. J'ai désigné un élève pour animer l'échange : lorsque je suis revenue dans la classe, les élèves avaient fini l'évaluation de la sous-partie en complète autonomie.
La prise de parole a gagné en qualité au fur et à mesure de l'année. Soit des élèves qui ne prenaient pas la parole l'ont prise, soit ceux qui prenaient la parole ont progressé dans la clarté de leur propos.
La lecture analytique collaborative a donc permis non seulement un développement de l'autonomie des élèves face aux tâches d'analyse, une pratique de l'auto-évaluation, mais aussi une pédagogie différenciée (dans le choix des niveau de difficulté des sous-parties, de la profondeur de l'analyse, etc.). Cela a aussi été une tâche adaptée pour les élèves dys qui n'avaient plus à recopier le tableau ou à prendre en notes. De plus, le document numérique à leur disposition permet ensuite à ces élèves de le réadapter comme il leur convient (interligne, police d'écriture, forme linéaire ou heuristique, etc.). Enfin, le travail de l'oral a été extrêmement important : il a permis d'entraîner les élèves à expliquer le texte à voix haute, à justifier leurs choix, à les éclairer.
Transfert
Je n'ai pas expérimenté ce type de lecture analytique avec ma classe de 2nde car il m'a paru que ce travail collaboratif requérait une classe avec un objectif suffisamment fort pour s'investir : l'examen. Je ne suis pas sûre que cela aurait fonctionné en classe de 2nde, à plus forte raison si la classe est peu investie : il me semble qu'elle ne chercherait pas à améliorer lors de la phase de mise en commun.
Toutefois, je pense poursuivre ce type de lecture analytique dans le futur pour les classes de 1è. Les gains me paraissent immenses : autonomie par rapport au texte, travail de l'oral important, développement des habiletés dans la tâche d'analyse, travail collaboratif requérant une forte coordination du groupe-classe.
Les gains sont aussi importants pour les élèves à profil particulier : l'élève EIP ne participait guère en classe mais a pu travailler en autonomie à partir du serveur, selon les modalités d'apprentissage qui lui sont propres ; les élèves dys ont pu se concentrer sur la tâche d'analyse et obtenir ensuite une prise de notes « propre » qu'il leur était possible de modifier selon leurs besoins.
Une des difficultés reste le temps nécessaire à cette activité. Au miminum, le travail demande 3h en classe ; au maximum, on peut aller jusqu'à 5h avec un temps long lors de la mise en commun. On est loin des 2h conseillées.
Toutefois, il me paraît que le temps pris est justifié par la variété des tâches que les élèves ont à accomplir, le bénéfice qu'ils retirent de la réalisation de ces tâches et la production finale qui est entièrement leur.